Archives de catégorie : Séminaire “Lectures de Marx”

André Gorz, un marxiste ?

Céline Marty
Lundi 6 janvier 2025 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Cette présentation résulte d’une recherche doctorale sur André Gorz soutenue en décembre 2023 ; la thèse est en ligne sur theses.fr et sera publiée, en version raccourcie, aux PUF en mars 2025 ; le Découvrir Gorz qui paraît le 17 janvier aux Éditions Sociales est une introduction accessible mais complète à la pensée d’André Gorz ; je me réfère ici à certains des textes édités dans cette anthologie.

On présente souvent le philosophe André Gorz, penseur des mutations du travail et de l’écologie politique, comme un proche de Sartre et d’Illich et un compagnon de la nouvelle gauche, de la CFDT et des mouvements écologistes notamment par son métier de journaliste au Nouvel Observateur. On réduit parfois ses propos sur le travail au titre de son ouvrage de 1980, Adieux au prolétariat, qui donne l’impression qu’il aurait rompu alors avec le marxisme ; en raison de son emploi au Nouvel Observateur, on l’assimile parfois à cette gauche du PS qui aurait abandonné le monde du travail, l’industrie et le prolétariat.

Nous balayons ici ces idées reçues en défendant que Gorz est marxiste dans toute son œuvre, malgré certaines prises de positions hétérodoxes qui ont été mal reçues à l’époque. Nous défendons les thèses suivantes :

–       Dans les années 1950, sa philosophie se fonde sur un marxisme humaniste existentialiste qui prend pour problème l’aliénation.

–       À l’instar de l’École de Francfort, Gorz actualise le marxisme à partir des luttes des années 1960 et 1970, en dialogue avec Marcuse et l’opéraïsme italien.

–       A partir des années 1970, Gorz développe sa technocritique écologiste à partir de la critique de l’organisation technique du capitalisme du Capital.

–       A partir des années 1970, Gorz n’abandonne pas le marxisme pour l’écologie à partir des années 1970 mais construit son écologie sur une critique matérielle du capitalisme : son écologie et son projet de décroissance sont toujours anticapitalistes.

–       A partir de 1980 et d’Adieux au prolétariat, Gorz n’abandonne pas la lutte des classes mais voit le sujet révolutionnaire dans un « néoprolétariat postindustriel ».

–       Jusqu’à la fin de sa vie, Gorz actualise la critique du capitalisme face à la société de services qui étend le règne de la marchandise sur les tâches domestiques et face au capitalisme numérique qui crée de la valeur et du profit autrement que par le travail productif matériel. Il échange pour cela avec les postopéraïstes comme Toni Negri, Yann Moulier-Boutang et Carlo Vercellone et Robert Kurz de la critique de la valeur. Son projet reste socialiste.

 

Bibliographie :

  • Perry Anderson, Sur le marxisme occidental, Paris, Maspero, 1977.
  • Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif, Paris, Fayard, 1995, p. 210-224.
  • Jean-Numa Ducange et Anthony Burlaud (dir.), Marx, passion française, Paris, La Découverte, 2018.
  • Alexandre Feron, Le Moment marxiste de la phénoménologie française : Sartre, Merleau-Ponty, Trần Đức Thảo, Cham, Springer, 2022.
  • Stéphane Haber, L’Aliénation : vie sociale et expérience de la dépossession, Paris, PUF, 2007.
  • Arthur Hirsch, The French New Left: An Intellectual History from Sartre to Gorz, Boston, South End Press, 1981.
  • Tony Judt, Le marxisme et la gauche française 1830 – 1981, Paris, Hachette, 1987.
  • Alain Lipietz, « André Gorz et notre jeunesse », Multitudes, vol. 31, n°4, 2007, pp. 163-169.
  • Michael Löwy, « Le marxisme d’André Gorz », EcoRev’, vol. 45, n°2, 2017, pp. 104-115.
  • André Tosel, Le marxisme du XXe siècle, Paris, Syllepse, 2009.

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Cycle de lecture : Le Capital, livre 2 (3) – Temps et coûts de circulation (ch. 5-6)

Ancienne caisse enregistreuse. Le caissier est-il un travailleur improductif ?

Foucauld Boutte du Jonchay
Lundi 16 décembre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Après avoir analysé le mouvement autonome du capital dans son processus de circulation, Marx s’intéresse à la temporalité de la production et de la circulation. Pour lui, le temps de production inclut le temps de travail, mais ne s’y résume pas, car à certains moments, quand les marchandises sont stockées où que les machines sont arrêtées, par exemple, le capital est toujours pris dans le processus de production. Cependant, pendant ce temps, il ne crée ni valeur ni survaleur.

Pendant le temps de circulation (où le capital passe de la forme-argent à la forme-marchandise ou vice-versa), le capital ne se valorise pas non plus, puisqu’il ne crée ni valeur ni survaleur. Au contraire, comme Marx le montre au chapitre 6, la circulation coûte au capitaliste. Celui-ci doit en effet régler les coûts des actes qui accroissent la valeur d’usage de la marchandise (coûts de transports, de stockage) et les coûts de circulation purs (comptabilité, caisse) qui proviennent du changement de forme du capital, et donc ne crée pas de survaleur.

Or, ces changements de forme nécessitent des travailleurs, des caissiers, des comptables… mais pour Marx, ces travailleurs sont dits « improductifs », puisque leur travail n’ajoute pas de valeur au produit.

C’est pourquoi le capital tend à réduire le plus possible les temps qui ne créent pas de valeur, voire qui lui coûtent : le temps de production qui n’est pas le temps de travail, et le temps de circulation. Plus ces temps se rapprochent de zéro, mieux le capital se porte.

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Patriarcat et accumulation à l’échelle mondiale : sur le livre de Maria Mies

Lucie Rondeau du Noyer et Floé
Lundi 9 décembre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Dans la première partie de son exposé, Lucie situera l’ouvrage de Mies par rapport aux textes de Marx et d’Engels, et plus généralement, elle réinscrira Patriarcat et accumulation à l’échelle mondiale dans l’histoire des mouvements sociaux et des idées marxistes. Dans une deuxième partie, elle expliquera comment et dans quelle mesure, en dépit des critiques nombreuses que Mies formule à l’encontre des « socialistes scientifiques » et des « partis marxistes-léninistes », cette autrice continue à mobiliser des catégories marxiennes dans sa démonstration.

Quant à Floé, elle montrera dans quelle mesure l’analyse par Mies des « origines de la division sexuelle du travail » peut être rapprochée de l’anthropologie de Paola Tabet. Elle exposera ensuite comment Mies conceptualise les liens entre lutte des classes et rapports hommes / femmes et présentera, dans un dernier temps, les propositions stratégiques de Mies.

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Veille bibliographique #33 (automne 2024)

Nouvelle veille bibliographique avec une sélection de parutions récentes.

Liste réalisée par la Librairie Le Point du Jour (58 rue Gay-Lussac, 75005 Paris

Antonio Gramsci, L’hégémonie culturelle,
trad. de l’italien Françoise Bouillot, préf. Jean-Yves Frétigné et Baptiste Colmant, Payot, « Petite bibliothèque », 2024, 160 p., 8 €.

[présentation en ligne]

Pour conquérir le pouvoir, il faut d’abord prendre l’opinion publique, donc la culture. La politique se joue autant dans les esprits que dans les urnes. Antonio Gramsci (1891-1937) est le grand théoricien de cette hégémonie culturelle qui passe par une lente préparation idéologique au sein de la société civile. Les idées doivent infuser dans les esprits, ériger en "sens commun" les valeurs que l’on défend, afin d’organiser une idéologie dominante, partagée par le plus grand nombre. Du temps de Gramsci, cela passait déjà par l’école, la presse, l’Église ou les syndicats ; aujourd’hui, s’y adjoignent les associations, les think tanks, les médias et les réseaux sociaux. Qui remporte la bataille des idées, ouvre les portes du pouvoir.

Tran Duc Thao, Phénoménologie, marxisme et lutte anticoloniale,
éd. et introd. Alexandre Feron, Éd. Sociales, « Les Essentielles », 2024, 576 p., 32 €.

[présentation en ligne]

Ces dernières années, on redécouvre la figure du philosophe vietnamien Tran Duc Thao (1917-1993). Longtemps oublié, il joue pourtant un rôle de premier plan dans la France des années 1940 et 1950, aussi bien sur un plan politique, par son engagement dans le mouvement anticolonial vietnamien, qu’intellectuel, par ses interventions dans les débats de l’époque. Il participe notamment aux discussions animées entre marxisme et existentialisme au moment de la Libération, et tente une synthèse audacieuse entre matérialisme dialectique et phénoménologie. Il contribue également à la réception et à la diffusion de l’œuvre de Husserl en France, aux débats autour de l’interprétation de Hegel et échange avec les grands intellectuels de l’époque (Sartre, Merleau-Ponty, Kojève, Naville, Lefort).
S’il rejoint précipitamment le Vietnam en lutte pour son indépendance fin 1951 et rompt alors le contact avec la scène intellectuelle française, Tran Duc Thao continue d’exercer une influence souterraine sur toute une génération philosophique formée dans les années 1940 et 1950 (Foucault, Derrida, Althusser, Bourdieu, Sève).
Le présent volume rassemble les textes que Tran Duc Thao rédige en français durant son premier séjour en France, entre 1936 et 1951, et offre ainsi une vue d’ensemble sur sa production philosophique et politique durant ces années.

Nicos Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme,
nouv. éd., préf. Razmig Keucheyan, postf. Bob Jessop, Amsterdam, « Poches », 2024, 384 p., 13 €.

[présentation en ligne]

La réédition de ce « classique » de la théorie politique dont la première édition remonte à 1978, s’inscrit dans les débats concernant les crises simultanées de l’Union européenne, du néolibéralisme et du capitalisme en général. Lire cet ouvrage aujourd’hui permet de comprendre que ces crises plongent leurs racines dans la structure des sociétés occidentales de l’après-guerre. Plus la crise économique s’approfondit, et plus le système devient autoritaire au plan politique. C’est ce que Poulantzas appelle l’« étatisme autoritaire », que l’on constate à présent au niveau européen, où des décisions affectant des millions de personnes sont prises hors de tout contrôle populaire. La seule alternative possible à ce système est le « socialisme démocratique », à savoir un socialisme qui dépasse le capitalisme sans pour autant sacrifier les libertés publiques.
Avec Michel Foucault, Gilles Deleuze, et Louis Althusser, auteurs dont il discute les thèses dans cet ouvrage, N. Poulantzas compte parmi les penseurs des années 1960-1970 dont le rayonnement international est aujourd’hui le plus important.

Àgnes Heller, La théorie des besoins chez Marx,
introd. Jean-Michel Palmier, préf. Razmig Keucheyan, Éd. Sociales, 2024, 200 p., 14 €.

[présentation en ligne]

Ágnes Heller ne propose pas une étude sur Marx mais une théorie critique de la vie quotidienne et de l’aliénation, non seulement dans les sociétés capitalistes mais aussi socialistes. Philosophe hongroise, élève du philosophe marxiste Georg Lukács et de l’École de Budapest, elle répond à une question simple : de quoi avons-nous besoin ? Á travers sa théorie des « besoins radicaux », elle montre qu’une partie de ce qui passe pour être des « besoins » n’en est pas vraiment et que satisfaire certains besoins est préjudiciable pour la personne et la société.
Son livre est accompagné d’une introduction de J.-M. Palmier, retraçant l’histoire de l’École de Budapest et d’une préface de R. Keucheyan qui montre avec force l’actualité politique de la théorie de Heller.

John Bellamy Foster, Marx écologiste,
trad. de l’anglais, nouv. éd., Amsterdam, « Poches », 2024, 256 p., 12 €.

[présentation en ligne]

À en croire l’opinion courante, Marx et le marxisme se situent du côté d’une modernité prométhéenne, anthropocentrée et ne considèrent la nature que pour mieux la dominer et l’exploiter, selon une logique productiviste qui fut historiquement celle du capitalisme et du socialisme. L’écologie, comme discipline scientifique et comme politique, devrait ainsi se construire en rupture avec l’héritage marxiste ou, au mieux, en amendant celui-ci considérablement pour le rendre compatible avec des préoccupations qui lui étaient fondamentalement étrangères.
Qu’en est-il vraiment ? L'auteur montre, textes à l’appui, que ces représentations constituent sinon une falsification, du moins une radicale distorsion de la réalité : des textes de jeunesse aux écrits de la maturité, inspirés par les travaux de Ch. Darwin et de J. von Liebig, grand chimiste allemand et fondateur de l’agriculture industrielle, Marx n’a jamais cessé de penser ensemble l’histoire naturelle et l’histoire humaine. S’il faut aujourd’hui tirer de l’oubli la tradition marxiste et socialiste de l’écologie politique, c’est que la perspective marxienne en la matière possède une actualité brûlante : l’une des questions les plus urgentes n’est-elle pas de savoir si la crise écologique est soluble dans le capitalisme ?

Juliette Farjat, Le langage de la vie réelle. Pour une philosophie critique des pratiques langagières,
Éd. Sociales, « Les Éclairées », 2024, 344 p., 25 €.

[présentation en ligne]

Alors même que l’ensemble de nos activités sociales (discuter, travailler, étudier, faire de la politique, etc.) se vivent et s’expriment dans le langage, la pensée critique ne s’est que très peu intéressée aux phénomènes linguistiques. C’est ce manque que ce livre s’efforce de combler à partir d’une perspective marxiste. Car, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a chez Marx de nombreuses pistes pour penser les rapports entre le langage et la vie sociale que Juliette Farjat s’efforce de reconstituer pour les confronter avec les analyses empiriques propres aux sciences humaines et aux sciences du langage.
Trois thèses principales sont défendues au fil de l’ouvrage. L'auteure soutient d’abord qu’on ne peut comprendre véritablement la nature des sociétés sans en analyser les pratiques langagières. Elle montre ensuite, à partir de l’exploration des mécanismes de la domination sociale, que toute critique de la société doit passer par une critique de son langage. Et elle affirme enfin que les processus d’émancipation supposent une libération de notre rapport au langage, car l’idée d’une vie meilleure est inséparable de celle d’une vie langagière plus épanouie.

Yves Clot, Découvrir Vygotski,
Éd. Sociales, « Les Propédeutiques », 2024, 184 p., 12 €.

[présentation en ligne]

Lev Vygotski (1896-1934) est souvent présenté comme le « Mozart de la psychologie ». Inspiré par la théorie marxiste, Vygotsky considère que l'homme, en tant qu'être social, façonne ses représentations du monde à travers des outils socioculturels, permettant de comprendre et de transformer le réel. Son œuvre dialogue avec tous les grands psychologues et cherche à mettre la psychologie au service de l’émancipation. Vygotski jette les bases pratiques et théoriques d’une psychologie novatrice axée sur l’art, l’éducation et l’enfance déficiente. Entre pensée et langage, entre conscience et inconscient, il raccorde la vie mentale à son origine sociale. Mais l’histoire du développement psychologique marche à l’affect. On doit à Vygotski des méthodes où chacun est vu, moins pour ce qu’il est déjà, que pour ce qu’il peut devenir.

Herbert Marcuse, Dialectique de la civilisation. Marxisme, psychanalyse, critique sociale. Textes et interventions, 1954-1978,
QS? éditions, « Archives du futur », 2024, 320 p., ill., 22 €.

[présentation en ligne]

Ce nouveau recueil de textes d’Herbert Marcuse est composé de quatre parties précédées d’une note biobibliographique. La première partie rassemble des textes datés de 1957 à 1972 sur la dialectique marxienne et ses destins dans les développements historiques du socialisme. La deuxième documente le fonds théorique freudo-marxiste de Marcuse avec des textes couvrant la période de 1956 à 1962 sur le rôle et les tâches de la psychanalyse dans la lutte contre l’oppression capitaliste. La troisième présente des textes rédigés entre 1965 et 1973 qui témoignent des approfondissements théoriques de Marcuse pour cerner les dynamiques contradictoires et paradoxales du néocapitalisme. Enfin, la quatrième partie est centrée sur les vives interventions de Marcuse dans la praxis révolutionnaire des mouvements protestataires des années 1960-1970.

Sandrine Aumercier & Frank Grohmann, Quel sujet pour la théorie critique ? Aiguiser Marx et Freud l’un par l’autre,
Crise & Critique, « Palim Psao », 2024, 244 p., 20 €.

[présentation en ligne]

L´hypothèse freudienne de l´inconscient est inséparable d´une critique du sujet, de même que l´analyse marxienne des catégories de l´économie politique vise la critique de la forme sociale capitaliste en tant que telle. La double tendance à psychologiser les formations de l´inconscient d´une part et à sociologiser les catégories du capitalisme d'autre part constitue pour chacune un obstacle sur le chemin d´une critique radicale de la structure moderne.
Ce n´est donc qu´en commençant par ne rien céder sur leur exigence respective qu´on peut poser la question de leur articulation. Malgré la prétention d´un demi-siècle de freudo-marxisme à synthétiser Marx et Freud en une seule théorie sociale, les ponts qu´on a essayé de construire par-dessus leur fossé méthodologique n´ont pas manqué de tronquer l´une ou l´autre des deux approches pour les rendre « compatibles » au prix de leur rigueur interne. La question de leur médiation exige au contraire de refuser une synthèse qui enjamberait le fossé méthodologique de leur point de départ.
Les textes réunis dans ce volume explorent les articulations entre sujet divisé, forme-sujet et forme sociale en remontant à la constitution historique et sans faire l´impasse sur le caractère réel et opératoire des séparations modernes.

Félix Guattari, Désir et révolution,
préf. Anne Querrien, postf. Franco Berardi Bifo, Eterotopia, « Rhizome », 2024, 112 p., 15 €.

[présentation en ligne]

Pouvoir et répression, eurocommunisme, crise du modèle léniniste, fonction de la classe ouvrière, agencements collectifs révolutionnaires et critique de la notion du sujet révolutionnaire, nomadisme du désir et circulation internationale des luttes, révolution machinique et révolution moléculaire, schizophrénie et schizo-analyse, critique de la psychanalyse et théorie de la pulsion de mort, valeurs d’usage et valeurs de désir, micro-fascisme quotidien, nouveau militantisme et libération, processus révolutionnaire et auto-organisation du désir, dépassement de la figure de l’intellectuel.
Il apparaît donc nécessaire de retracer les agencements matériels, subjectifs, sociaux capables de créer les conditions par lesquelles le désir, concept central dans toute l’œuvre de Félix Guattari, ne cesse de communiquer et de réinventer le champ social.
Dans ces deux entretiens, réalisés, pour le premier (inédit en France) en 1977, et pour le deuxième en 1992, Félix Guattari aborde les problèmes essentiels de la construction d’une pratique et d’un discours révolutionnaires ici et maintenant, en se confrontant à la contradiction et à la richesse des processus de transformation en cours.

Suzanne de Brunhoff, La monnaie chez Marx,
nouv. éd., préf. Riccardo Bellofiore et Cédric Durand, Éd. Sociales, 2024, 208 p., 14 €.

[présentation en ligne]

La monnaie chez Marx est une œuvre essentielle qui explore la conception de la monnaie dans la théorie économique de Marx. L’auteure examine les écrits de Marx, notamment Le Capital, pour comprendre sa théorie de la monnaie en tant qu’outil central du capitalisme. Elle analyse le rôle de la monnaie dans la production, la distribution et la circulation des biens et décortique les concepts clés de la théorie monétaire de Marx, tels que la valeur, la survaleur, l’accumulation du capital et la crise économique. Ce livre offre donc une compréhension approfondie de la pensée marxienne sur la monnaie et son impact sur la société.

Ernst Lohoff & Norbert Trenkle, La grande dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l’État ne sont pas les causes de la crise,
trad. de l’allemand Paul Braun et Vincent Roulet, nouv. éd., postf. inédite Ernst Lohoff, Crise & Critique, « Palim Psao », 2024, 418 p., 22 €.

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Qui porte la responsabilité de l’inflation galopante et de la crise économique depuis 2008 ? Les « banquiers cupides » ou les États criblés de dettes ? Pour les auteurs, rien n’est plus naïf et dangereux que de croire en la légende du coup de poignard dans le dos d’une « économie réelle » saine, sacrifiée à la cupidité de quelques banquiers et spéculateurs. Ces réponses superficielles masquent une vérité plus profonde. L’expansion vertigineuse des marchés financiers depuis quarante ans découle d’une crise structurelle du capitalisme, enracinée dans les années 1970. La Troisième Révolution industrielle a accéléré l’éviction de la force de travail, privant la production de profits et érodant les bases de la valorisation du capital au sein de l’« économie réelle ». Cette crise n’a été différée qu’en recourant massivement au crédit et à la spéculation, capturant par anticipation la valeur future. Après les crises de 2008 et du Covid-19, l’effondrement a été évité uniquement grâce à l’intervention massive des États et des banques centrales.
Cette analyse novatrice, détaillant l’histoire et les transformations du capitalisme depuis le XIXe siècle, s’appuie sur une lecture de la théorie marxienne et de son concept de « capital fictif », défiant la récente « renaissance de Marx ». Ici, Marx n’est pas simplement le théoricien de la lutte des classes, mais celui qui a élaboré une critique radicale d’une société basée sur la production de marchandises, destinée à buter sur ses propres contradictions.

Stéphanie Roza, Marx contre les GAFAM. Le travail aliéné à l’heure du numérique,
PUF, « Questions républicaines », 2024, 288 p., 19 €.

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Le capitalisme a beaucoup changé depuis l’époque de Marx. En quoi ses concepts peuvent-ils encore être utiles à celles et ceux qui se placent dans la perspective de l’émancipation ? Cet ouvrage s’appuie sur les apports d’un siècle et demi de travaux et de débats au sein du marxisme, et particulièrement sur ceux de penseurs humanistes comme Georg Lukács, pour décrypter les tendances de fond de la société contemporaine. Il s’appuie sur l’hypothèse d’une essence humaine universelle : elle ne cesse d’évoluer dans le temps grâce aux efforts fournis par les individus dans l’activité de travail, qui peu à peu humanise le monde tout en accroissant la richesse et la puissance des sociétés.
Mais ces progrès ont une face sombre : c’est pourquoi l’analyse s’efforce aussi de mettre à jour les nouvelles formes d’aliénation, en particulier celles engendrées par les plateformes numériques, qui se sont invitées dans notre rapport au travail, aux autres et à nous-mêmes. Le pari de ce livre est le suivant : seule une lecture lucide du monde dans lequel nous vivons peut fournir une base sérieuse à une théorie de la libération adaptée à notre temps.

Bernard Friot, Bernard Vasseur, Le communisme qui vient,
La Dispute, 2024, 184 p., 15 €.

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Multiplication des dissidences dans le refus de soumettre la production à la logique du capital, volonté de protéger la diversité du vivant, expérimentations d’entreprises et d’organisations horizontales, refus d’une agriculture sans paysans, détermination à conquérir l’égalité des territoires, l’égalité contre le patriarcat et la culture coloniale… : tout une effervescence communiste existe, décidée à nous sortir de l’impasse anthropologique et écologique dans laquelle le capitalisme nous enfonce. Pour l’économiste Bernard Friot et le philosophe Bernard Vasseur, conquérir, dans l’action concrète, le communisme est un défi à notre portée. Ils montrent que les forces de l’émancipation devront néanmoins s’arracher aux systèmes d’évidences capitalistes pour parvenir à actualiser et généraliser ces déjà-là communistes.

Éric Le Lann, Communisme, un chemin pour l’avenir,
préf. Florian Gulli, Éd. Manifeste !, « Ligatures », 2024, 134 p., 13 €.

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« Il n’y aura pas de perspective nouvelle qui ne s’inscrive dans une certaine continuité avec le passé. C’est le parti pris lucide d’Éric Le Lann. La gauche en général, les communistes en particulier, doivent apprendre à hériter de leur histoire, ce qui ne veut pas dire la justifier ou en faire l’apologie.
Hériter, ce n’est pas répéter, car le passé n’est pas un dépôt sacré. On choisit la part que l’on veut prolonger et celle qu’on laissera mourir. Cette part que l’on reçoit ne consiste pas en des doctrines toutes faites, figées dans le marbre des textes, dans le réel d’institutions passées qu’il faudrait reprendre au présent. Nous héritons d’esquisses, de possibles, que des hommes d’une autre époque ont tenté d’incarner.
Le livre d’Éric Le Lann attire aussi notre attention sur des formes de gouvernements, sur des pouvoirs, sur des institutions. En URSS, en Chine ou encore en Inde dans l’État du Kerala. S’intéresser au “communisme de pouvoir”, pour reprendre ses mots, est un geste qui ne manque pas d’originalité à une époque où l’humeur anti-institutionnelle a pris tant de place dans la gauche intellectuelle et militante. Là, le communisme est et ne saurait être que disruption, subversion, insurrection. La vraie gauche résisterait au pouvoir, elle ne l’exercerait pas, sauf à risquer la contradiction dans les termes. Il faudrait se tenir à distance de l’État, changer le monde sans prendre le pouvoir, le contourner, etc. Bref, laisser le pouvoir aux autres.»

Dominique Pinsolle, Quand les travailleurs sabotaient. France, État-Unis (1897-1918),
Agone, « Mémoires sociales », 2024, 480 p., 25 €.

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Quelle que soit la manière dont on qualifie la littérature, les discours, les représentations et les pratiques liés au sabotage en France et aux États-Unis jusqu’à la guerre, il n’en demeure pas moins que le phénomène n’a aucun équivalent ailleurs dans le monde, ni dans sa nature, ni dans son ampleur. Toutes les forces syndicalistes révolutionnaires ont été réceptives au concept, mais seuls les militants français et les Wobblies étatsuniens ont produit une doctrine originale du sabotage qui a rencontré un écho international – comme en témoigne la diffusion internationale du terme français et du symbole du chat noir. En outre, malgré leurs particularités respectives, les deux formes de cette tactique qui se développent de part et d’autre de l’Atlantique sont liées et peuvent donc être appréhendées comme les deux étapes d’une même histoire.
L’urgence climatique et sociale a remis au goût du jour l’activisme radical, dont le recours au sabotage. Loin de se réduire à une dégradation matérielle, cette pratique a soulevé d’immenses espoirs dans les rangs syndicalistes révolutionnaires de la « Belle Époque », au point d’être théorisée et mise en œuvre de manière collective. De la Confédération générale du travail (CGT) en France aux Industrial Workers of the World (IWW) aux États-Unis, le sabotage apparaissait alors comme une tactique légitime, imparable, et contre laquelle patrons et gouvernants ne pouvaient rien. Cette expérience syndicale éclaire la portée et les limites d’un moyen d’action marginalisé, objet de nombreux fantasmes.

Alexander Rabinowitch, Les bolcheviks au pouvoir,
Trad. de l’anglais Diane Gilliard, Éd. Critiques, 2024, 640 p., 32 €.

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Ouvrage incontournable sur l’histoire du XXe siècle, ce livre propose une analyse détaillée et fascinante de la première année du régime soviétique à Petrograd. En se fondant sur des archives soviétiques longtemps restées inaccessibles et des journaux d’époque, Rabinowitch bouleverse les idées reçues sur la montée de l’autoritarisme bolchevique. Loin d’être le fruit d’un plan mûrement élaboré, il est le résultat d’une série de choix pragmatiques et de solutions improvisées face à des divisions internes et des menaces extérieures incessantes.
L’auteur nous plonge dans un univers politique chaotique, où naviguant entre des crises politiques, sociales et militaires sans précédent, les dirigeants bolcheviques, ainsi que leurs alliés les socialistes révolutionnaires de gauche, devaient prendre des décisions aux conséquences vitales pour la révolution et le peuple russe. De la dissolution de l’Assemblée constituante à l’instauration de la Terreur rouge en passant par le traité de paix avec l’Allemagne et la montée de la Tchéka, la survie du régime ne tenait souvent qu’à un fil.
Un ouvrage indispensable pour quiconque souhaite saisir les dynamiques complexes ayant abouti à la formation d’un régime qui allait transformer le cours de l’histoire mondiale et influencer les mouvements révolutionnaires à travers le siècle.

Éloïse Dreure, Des communistes en situation coloniale (1920-1939). « L’Algérie lutte et espère »,
préf. Jean Vigreux, Éditions universitaires de Dijon, « Histoires », 2024, 320 p., 23 €.

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Dès 1920, le Parti communiste français nouvellement créé voit son influence s’étendre jusqu’à l’Algérie coloniale où des militants socialistes rejoignent massivement la IIIe internationale. Ces derniers, issus de la population européenne de la colonie, doivent alors adopter la ligne résolument anticolonialiste de l’Internationale communiste, sur un territoire résolument hostile à cette idée.
Ce livre reconstitue ce que fut l’organisation communiste en Algérie coloniale, de 1920 à 1939, présente ses militants, leurs mobilisations, leurs liens avec la direction du PCF, à Paris, et avec celle de l’Internationale communiste, à Moscou et la répression à laquelle ils doivent faire face. Surtout, il s’interroge sur la nature même du communisme dans ses dimensions particulières à la société coloniale, dans une période où émergent les premiers mouvements de libération nationale.

Noam Chomsky, Vijay Prashad, Cuba, l’île insurgée,
Éd. Critiques, 2024, 184 p., 18 €.

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Depuis plus de 70 ans, une île située à seulement 200 km des côtes de Floride défie la puissance américaine. En dépit d’un embargo inique et cruel, son peuple est parvenu à bâtir un système éducatif performant et à former des médecins qui parcourent le monde pour venir en aide aux populations les plus vulnérables.
Dans cet ouvrage, l’intellectuel Noam Chomsky, connu pour sa critique virulente de la politique étrangère américaine, et Vijay Prashad, historien et journaliste engagé, retracent l’histoire de Cuba, de sa révolution à nos jours, mettant en lumière la réalité complexe d’une nation souvent calomniée.
Examinant avec nuance et rigueur plusieurs décennies de luttes, marquées par des victoires et des échecs, ils révèlent la place unique de Cuba sur la scène internationale. Malgré l’adversité, l’île demeure un exemple pour les pays du Sud qui cherchent à s’affranchir de la domination occidentale.

Marie Thirion, Organiser le pouvoir ouvrier. Le laboratoire opéraïste de la Vénétie (1960-1973),
Agone, « Mémoires sociales », 2024, 480 p., 23 €.

[présentation en ligne]

Du point de vue opéraïste, les travailleurs de la chimie sont l’incarnation d’une classe ouvrière montrant la voie à suivre. L’intervention à ses côtés semble d’autant plus urgente que le secteur se prépare à se mobiliser pour le renouvellement des conventions collectives à la suite des métallurgistes. Ces derniers ne sont pas parvenus à surmonter la division entre public et privé, ni à créer les conditions d’une lutte commune.
Les opéraïstes sont convaincus que les chimistes peuvent éviter ces écueils en portant des revendications pertinentes (notamment sur le temps de travail et l’augmentation des effectifs) et en s’assurant de pouvoir généraliser et contrôler eux-mêmes la lutte. Pour les opéraïstes, la classe ouvrière est désormais seule face au capital. Ce sont “les premiers pas vers un nouveau type d’organisation, totalement autonome” qu’ils croient déceler dans les grèves de l’été 1963. Quant au reflux de la conflictualité ouvrière qui suit, il est interprété comme un refus de suivre les syndicats, et non comme un refus de la lutte.
Aux « années de plomb » italiennes est associée la violence de groupes radicalisant la contestation issue de Mai 68. Parmi eux figure l’opéraïsme, courant marxiste né en Italie au début de la décennie. Loin du cliché d’une extrême gauche enfermée dans ses spéculations théoriques et condamnée à sombrer dans une fuite en avant mortifère, l’histoire que retrace Marie Thirion restitue toute l’ampleur d’un mouvement ancré dans la classe ouvrière. Cette tentative de mener une lutte autonome, détachée des bureaucraties syndicales et politiques, fait écho à tout questionnement sur l’articulation entre production intellectuelle et mobilisation des travailleurs.

Stanley B. Ryerson, Capitalisme et confédération,
M éditeur, « Recherches matérialistes », 2024, 541 p.

[présentation en ligne]

« Les mouvements nationaux ne sauraient devenir réellement libérateurs que dans la mesure où ils assument la dimension socioéconomique, faite de classes opprimées en lutte contre le joug du grand capital et de ses structures étatiques. » 
La Confédération canadienne a été construite par et pour les élites capitalistes anglophones, aux dépens de la classe ouvrière et des nations minoritaires : telle est l’hypothèse de Stanley Ryerson dans cet ouvrage majeur de l’historiographie canadienne. Fruit de trente années de recherche, paru dans sa forme définitive en 1972, Capitalisme et confédération est généralement considéré comme la plus importante contribution marxiste à l’histoire du Canada. Il a restructuré les débats sur la transition du féodalisme au capitalisme, tout en permettant une compréhension renouvelée des changements politiques du XIXe siècle. En refusant la fausse opposition entre histoire économique et histoire socio-politique, Ryerson offre le premier récit intégré du capitalisme et de la confédération canadienne, avec une attention particulière à la lutte des classes.
En plus de ses apports scientifiques indéniables, ce livre peut servir à comprendre et dépasser les structures dominantes, dans un horizon égalitaire. Quarante-cinq ans après sa dernière impression, ce maître-ouvrage est enfin de nouveau disponible.

 « Crise écologique, transition écosocialiste », coord. Razmig Keucheyan, Claire Lejeune et Michael Löwy, Actuel Marx,
n° 76, PUF, 2024, 216 p., 25 €.

[sommaire en ligne]

Changement climatique, dégradation environnementale et destruction massive de la biodiversité sont devenus désormais, et pour un temps indéterminable, les questions sociales et politiques décisives auxquelles se confronte l’humanité. Provoquant un renouvellement des cadres paradigmatiques des recherches en sciences humaines et sociales, ces questions ont tout autant exigé ces dernières décennies un réexamen, et pour une part une réinvention des approches marxistes des trajectoires historiques, des contradictions internes et des régimes de conflictualité de la formation sociale capitaliste. Ce dossier propose différentes entrées dans les débats du marxisme écologique contemporain, et des contributions privilégiant une approche interdisciplinaire de certaines de ses questions-clés : la crise environnementale comme fait socionaturel « total », les débats soulevés par la planification écologique, les modalités et l’inventivité des luttes socioécologiques contemporaines…

Cycle de lecture : Le Capital, livre 2 (2) – Les trois cycles du capital industriel (ch. 1-4)

Roue du samsara (monastère tibétain).

André Boetto
Lundi 2 décembre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Le livre II du Capital débute par une exposition du cycle de reproduction du capital productif ou industriel vu du point de vue de l’unité de production ou du capitaliste individuel. Marx repart ici du schéma du cycle A–M–A’ exposé au chapitre IV du livre I, cette fois-ci non pas pour pénétrer l’« antre secret de la production » mais pour analyser le mouvement autonome du capital dans la « sphère bruyante » de la circulation, qui est le complément nécessaire de la sphère de la production immédiate.

Dans les trois premiers chapitres, Marx analyse l’une après l’autre les trois formes que le capital doit traverser au cours de son cycle avant de revenir à son point de départ : la forme du capital-argent, celle du capital productif et celle du capital-marchandise, ainsi que les cycles qui sont associés à chacune de ces formes et qui ne constituent en réalité que trois aspects d’un même cycle.

Après avoir décrit la logique du cycle du point de vue de ses trois formes particulières, Marx passe dans le chapitre 4 à la considération du cycle global tel qu’il se présente dans sa situation historique concrète. Ici l’on découvre que capital-argent, capital productif et capital-marchandise ne sont pas simplement trois formes successives d’un seul et même cycle, mais doivent aussi en même temps coexister simultanément comme des formes séparées et autonomes si l’on veut que le capital poursuive sa circulation sans arrêt ni entrave. Ainsi, aux yeux du capital, pour que tout change il faut bien que quelque chose ne change pas…

 

Bibliographie additionnelle :

  • Christopher J. Arthur, « The Fluidity of Capital in the Logic of Concept », in C. J. Arthur et G. Reuten (éd.), The Circulation of Capital, New York, St. Martin’s Press, 1998, p. 95-128.
  • David Harvey, A Companion to Marx’s Capital, Volume 2, Londres, Verso, 2013, ch. 1-2 (lien vers le cours de David Harvey d’où est tiré ce volume).
  • Michael Heinrich, Critique de l’économie politique : une introduction aux trois livres du Capital de Marx, Toulouse, Smolny, 2021, p. 173-178.

Texte de la séance :

 

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Cycle « Marxisme, impérialisme et question nationale » (1) – Rouges en vert de gris : correspondances, journaux et mémoires de jeunes socialistes allemands opposés à la guerre de 1914-1918

Fritz Stucke, Gustav Seiter et Wilhelm Eildermann, Brême, été 1914.

Pierre Millet
Lundi 25 novembre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

L’été 1914 est un moment de bascule dans l’histoire du mouvement ouvrier. Dans tous les pays belligérants, à l’exception notable de la Russie et de la Serbie, les partis membres de l’Internationale socialiste se rangent derrière leurs gouvernements. Ils avaient pourtant juré solennellement au Congrès de Bâle (1912), et maintes fois ensuite, de tout faire pour stopper cette guerre que tous avaient vu venir. En quelques jours ces promesses sont pourtant oubliées, tant est forte la pression à l’unité nationale. En Allemagne, la majorité des députés du SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne), qui avec son million de membres est le plus grand parti de l’Internationale, se prononcent en faveur du vote des crédits de guerre. Par discipline de parti, les députés qui s’étaient opposés à tout soutien à l’effort de guerre, dont Karl Liebknecht, votent comme un seul homme les crédits de guerre au Reichstag le 4 août 1914. Ce reniement des engagements antimilitaristes de la sociale démocratie ouvre la voie à la normalisation du SPD, qui était longtemps resté un parti paria, même si le souvenir des lois antisocialistes (1878-1898) était déjà loin. Le 1er août, l’empereur Wilhelm II prononce une phrase que l’on imprime à des centaines de milliers d’exemplaires sur les cartes postales, qui sont alors un important véhicule de la propagande officielle : « Ich kenne keine Parteien mehr, Ich kenne nur noch Deutsche ! » : « Je ne connais plus de partis, je ne connais que des Allemands ! ». Ainsi débute la période de Burgfrieden, (paix au château), le pendant allemand de l’Union sacrée, à ceci près qu’en Allemagne contrairement à ce qui advient en France, le SPD n’entre pas au gouvernement au cours du conflit.

Les militants du SPD sont alors jetés dans une grande perplexité, d’autant plus qu’ils ignorent encore la division des députés qui s’est exprimée lors de la réunion de fraction du parti, qui n’était pas publique. L’association de jeunesse sociale-démocrate soutient également la Burgfrieden et Ludwig Frank, qui n’était alors déjà plus très jeune, mais était toujours le dirigeant historique de la Junge Garde (jeune garde), se fait l’un des plus fervents partisans de l’entrée en guerre. Engagé volontaire, il meurt au combat le 3 septembre 1914 près de la ville de Baccarat en Meurthe et Moselle. Son cas est abondamment discuté par les jeunes socialistes qui entendent rester fidèles à leurs engagements passés et cherchent à s’organiser contre la guerre. Leurs noms – Wilhelm Eildermann, Emil Birkert, Gustav Seiter, Fritz Rück, Otto Unger, Karl Jannack – sont aujourd’hui largement oubliés, de même que leur engagement contre la guerre. Il existe pourtant des sources très riches et encore méconnues les concernant. Une partie des lettres qu’ils se sont envoyées entre le front et l’arrière sont conservées aux archives fédérales allemandes et elles ont été publiées en ordre dispersé. Elles constituent un témoignage de première main sur la subjectivité, les prises de position et le rôle de ces jeunes militants, qui furent tous mobilisés, dans le mouvement d’opposition à la guerre qui débouchera sur la révolution de novembre 1918. C’est à ces lettres, ainsi qu’aux mémoires et journaux de ces jeunes militants, que nous consacrerons cette séance qui entend inaugurer un cycle sur le rapport des marxistes à l’impérialisme et à la question nationale.

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Cycle de lecture : Le Capital, livre 2 (1) – Introduction

Alexandre Feron
Lundi 18 novembre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Notre cycle de lecture du livre II du Capital sera introduit par Alexandre Feron, qui, avec Alix Bouffard et Guillaume Fondu, en a proposé une nouvelle traduction aux Éditions sociales. Une nouvelle traduction s’imposait pour prendre en compte les avancées faites dans le cadre de la MEGA², mais aussi pour proposer un vocabulaire unifié, dans une certaine continuité avec le travail effectué par Jean-Pierre Lefebvre pour le livre I.

Assortie d’une introduction et d’un glossaire, cette nouvelle parution est amenée à être l’édition de référence du Livre II, qui est sans doute le plus méconnu des trois volumes. Méconnu, d’abord, parce que contrairement au livre I, il n’a pas été publié du vivant de Marx, et qu’il est donc le fruit d’un travail de mise en forme par Engels à partir de brouillons de Marx. C’est ce qui explique l’aspect composite de l’ouvrage, qui inclut parfois de longues citations. Contrairement au livre I, le livre II abandonne en outre la sphère de la production, pour se concentrer sur celle de la circulation et la reproduction du capital.

La formalisation mathématique de la reproduction du capital social global contenue dans la dernière section du livre a notamment inspiré dans la tradition marxiste un grand nombre d’interprétations différentes qui y ont vu un moyen d’aborder des phénomènes aussi divers que les crises du capitalisme, l’impérialisme ou la planification socialiste (Tougan-Baranovski, Hilferding, Luxemburg, Kalecki, Robinson, Litochenko, Popov…). Mais l’intérêt du livre II est loin de se limiter aux seuls « schémas de reproduction », comme le montre son utilisation par David Harvey pour penser la place du facteur spatio-temporel dans les dynamiques du capitalisme ou encore par Kohei Saito qui y voit les esquisses d’un marxisme écologique. La reprise en main du livre II dans son ensemble s’avère ainsi précieuse pour aborder un grand nombre de problèmes économiques et sociaux contemporains à l’aide des élaborations les plus poussées de Marx.

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Cycle « Planification, marché et autogestion » (2) – Penser la coordination socialiste

Ulysse Lojkine
Lundi 4 novembre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Dans cet exposé, j’étudierai la question de la coordination économique socialiste dans quatre traditions de pensée. Dans trois d’entre elles, l’autogestion — ou d’autres modèles de communisme à petite échelle —, l’économie de guerre — ou d’autres modèles de mobilisation étatique des ressources au service d’un but extrinsèque — et la garantie de droits sociaux universels la question de la coordination est évacuée de la définition même du modèle, même si elle réapparaît sous des formes intéressantes dans les débats internes à ces traditions. Je m’attacherai en particulier à étudier le rôle qu’y joue la notion parfois ambiguë de « comptabilité économique en nature ». Cela m’amènera à insister sur l’intérêt de la tradition cybernétique, qui prend le problème de la coordination comme point de départ, à retracer quelques grands jalons de son histoire, et à la situer par rapport à la tradition dite du socialisme de marché.

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L’ambivalence écologique du matérialisme : hubris productive et rupture métabolique

Konstantin Yuon, Nouvelle planète, 1921.

Killian Favier
Lundi 28 octobre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Les nombreux débats autour de « l’écologie de Marx » se sont intensifiés à la mesure de l’aggravation de la crise climatique. Une littérature éco-marxiste récente, centrée autour de la notion de « rupture métabolique », a popularisé l’idée selon laquelle la théorie de Marx est écologiste en principe et en fait. En d’autres termes, la philosophie de Marx serait compatible avec l’écologie, et sa critique du capitalisme serait justement centrée sur (ou se serait graduellement tournée vers) les exigences de soutenabilité, contre la destruction environnementale capitaliste. Cette lecture, aujourd’hui sûre de son fait, visait au départ à contrer les accusations traditionnelles de l’environnementalisme envers Marx : anthropocentrisme et Prométhéisme. 

Sans vouloir pour autant ignorer la contribution indubitable des travaux récents sur la « rupture métabolique », je défendrai une lecture beaucoup plus nuancée de l’écologie prétendue de Marx. Comme l’a montré Timothée Haug dans une récente thèse, une lecture fidèle à l’esprit du texte, et notamment de ses sources philosophiques, doit comprendre que la « rupture métabolique » n’émerge que tard dans son œuvre et n’est pas la concrétisation de son modèle théorique. Elle est au contraire une ouverture vers quelque chose d’autre – une « brèche ».

Pour éclairer cette idée d’une brèche écologique tardive dans l’œuvre de Marx, je me propose de décrire ce que j’appellerai « l’ambivalence écologique » du matérialisme. C’est selon moi dans le geste philosophique inaugural de Marx que se situe la source de l’ambivalence. Le matérialisme de Marx suit celui de Feuerbach en inversant les catégories de l’idéalisme, c’est-à-dire en posant la primauté de la nature sur l’esprit. Cependant, il y ajoute une notion cruciale : celle de pratiqued’activité, qui jusqu’alors était théorisée (mais abstraitement) par des penseurs idéalistes, principalement Hegel. Contre le matérialisme contemplatif de Feuerbach, celui de Marx se concentre sur la pratique concrète des individus dans leurs conditions naturelles. Il faut alors prêter attention à ce qui advient au concept de nature. Elle est à la fois la primauté matérielle de laquelle les humains dépendent en en tirant leur subsistance (ce qui donnera le concept de métabolisme, effectivement important), et le substrat transformé par l’activité historique, c’est-à-dire un matériau modelé par les humains. Ainsi, le destin écologique du marxisme dépend de sa capacité à penser la nature sans la réduire à un simple matériau pour l’activité. La tendance inverse, profondément ancrée chez Marx, se rend coupable d’hubris en transposant le modèle idéaliste (hégélien) à l’activité humaine sur la nature.

Eléments de bibliographie :

  • Etienne  Balibar, La Philosophie de Marx, Paris, La Découverte, 1993.
  • John Bellamy Foster, Marx écologiste, Paris, Amsterdam, 2011 [2000].
  • Timothée Haug, La Rupture écologique dans l’œuvre de Marx : analyse d’une métamorphose inachevée du paradigme de la production, thèse de doctorat en philosophie soutenue à l’Université de Strasbourg, 2022.
  • Karl Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Editions Sociales, 1972.
  • Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Paris, Editions Sociales, 1972.
  • Karl Marx, Le Capital, Livre 1, Paris, Editions Sociales, 2016.
  • Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, première partie : Feuerbach, Paris, Editions Sociales, 1970.
  • Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du parti communiste, Paris, Ivrea, 1983.
  • Kohei Saito, La Nature contre le capital : l’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital, Paris-Lausanne-Montréal, Syllepses-Page deux-M Éditions, 2021 [2016].
  • Alfred Schmidt, Le Concept de nature chez Marx, Paris, PUF, 1994 [1971].
  • Charles Taylor, Hegel et la société moderne, Paris, Editions du Cerf, 1998 [1979].

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Présentation des Travailleuses de la résistance. Les classes populaires ukrainiennes face à la guerre

Daria Saburova
Lundi 21 octobre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Contre les attentes de Kremlin, qui espérait que son opération militaire spéciale ne durerait que trois jours, l’Ukraine continue à résister aux forces d’occupation. Si le rôle de la mobilisation populaire, à travers les innombrables initiatives bénévoles qui ont parsemé le pays, a souvent été souligné, nous ne disposons encore que de peu de travaux sur l’organisation concrète de cette résistance sur le plan local, ainsi que sur les rapports de classe et de genre qui la traversent. En s’appuyant sur une enquête de terrain menée à Kryvyï Rih, grand centre d’extraction minière et de métallurgie situé en Ukraine centrale, ce livre s’intéresse à la manière spécifique dont les femmes des classes populaires, souvent russophones et anti-Maïdan, s’engagent dans le mouvement de solidarité avec l’armée et les populations civiles touchées par la guerre. Comment s’organisent-elles face à l’agression russe, quelles sont leurs motivations, leurs préoccupations, leurs activités et leurs modes de fonctionnement ? Quel est le degré d’autonomie de leurs initiatives et quels rapports entretiennent-elles avec l’État et les pouvoirs locaux, les partis politiques, les syndicats, les ONGI et les organisations des classes moyennes et supérieures ?

Le choix méthodologique d’aborder le bénévolat sous l’angle de la sociologie du travail permet d’interroger l’articulation entre le travail bénévole, le salariat et le travail domestique, et de montrer comment l’État s’appuie sur cet élan spontané de solidarité, qui met à sa disposition des masses colossales de travail gratuit, pour assurer les services publics cruciaux tout en poursuivant les réformes néolibérales entamées en 2014. Le livre s’intéresse enfin plus largement aux points de vue exprimés par les membres des classes populaires sur la situation économique, sociale et politique de leur pays. Que pensent-ils des évènements qui secouent l’Ukraine depuis 2013 ? Comment évaluent-ils les réformes de ces dix dernières années, les batailles autour de la mémoire historique et de la question linguistique ?

Référence de l’ouvrage :

Éléments de bibliographie :

  • Dominique Arel, Jessy Driscoll, Ukraine’s Unnamed War : Before the Russian Invasion of 2022, Cambridge, Cambridge University Press, 2023.
  • Laada Bilaniuk, Contested Tongues : Language Politics and Cultural Correction in Ukraine, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 2005.
  • Oksana Dutchak, « Social Reproduction, Destruction and Adaptation : Care Infrastructure and Networks in Ukraine During the War », Commons : Journal of Social Criticism.
  • Denys Gorbach, The Making and Unmaking of the Ukrainian Working Class : Everyday Politics and Moral Economy in a Post-Soviet City, New York-Oxford, Berghahn Books, 2024.
  • Maud Simonet, Le travail bénévole. Engagement citoyen ou travail gratuit ?, Paris, La Dispute, 2010.

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Cycle « Planification, marché et autogestion » (1) – Approches marxistes de l’expérience yougoslave

Catherine Samary
Lundi 14 octobre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

La présentation que je propose à ce séminaire est à la fois délimitée et ouverte. 

Délimitée quant à la « grille » de lecture qui se réclame du marxisme sur un sujet spécifié (« plan, marché et autogestion »), lui-même ancré sur l’expérience yougoslave spécifique. Mais ouverte, car d’une part, il y a eu (et il demeure) des lectures de cette expérience qui, tout en se réclamant du marxisme – et j’y inclus les marxistes yougoslaves – sont différentes voire largement contradictoires, sans conclusion consensuelle à ce jour.  De plus, loin de se réduire à ce que certaines présentations de marxistes en font – un « modèle de marché » figé et unique, cette expérience s’est traduite sur quatre décennies post-révolutionnaires (1950-1980) en gros par trois grandes combinaisons institutionnelles ou « systèmes » différents se réclamant tous de « principes » ou finalités marxistes. 

Ma propre recherche et thèse de doctorat assumait cette double caractéristique, délimitée et ouverte, à partir d’une double conviction marxienne : l’exigence générale sans cesse actualisée d’une dialectique (ou interaction) théorie et expérience  pratique ; mais en particulier, le rejet de recettes en chambre concernant les enjeux de la construction d’une société post-capitaliste. C’est l’absence d’expérience à ce sujet du temps de Marx qui lui faisait refuser de « lire dans le marc de café » ou encore d’imaginer sans lien avec des luttes et expériences un « modèle » de ce qu’il appelait de façon critique un  « socialisme utopique ». 

Cela n’avait pas empêché les fondateurs du « marxisme » d’émettre quelques hypothèses souvent transformées en « définitions » dogmatiques (cf. « le socialisme, c’est “à chacun selon son travail” et le communisme, c’est “à chacun selon ses besoins” ; mais aussi certaines présentations d’Engels de l’avenir post-capitaliste sans catégories marchandes et permettant une gestion « directe » ou administrée des ressources). Ainsi, une hypothèse/interprétation forte a associé le projet communiste à une société à la fois sans conflits et sans monnaie. Divers marxistes n’ont pas manqué de se réclamer de ces « références » pour interpréter et critiquer l’expérience yougoslave. J’y reviendrai succinctement.

La révolution d’Octobre a marqué le début d’un changement de contexte pour la réflexion marxiste, prolongée et transformée dans le temps à la fois par la bureaucratisation / stalinisation de l’URSS et les nouvelles révolutions du XXè siècle (Yougoslavie, Albanie, Chine, Vietnam, Cuba…) se réclamant du projet communiste et de la révolution d’Octobre en se définissant vis à vis de l’URSS ( dans un rapport apologétique ou de rejet critique). Cet autre ensemble de critères politico-théoriques allaient forcément à leur tour marquer les diverses lectures marxistes de la révolution yougoslave que j’évoquerai également.  

Mon sujet et l’approche de ma thèse de doctorat étaient à la fois délimités et ouverts : il s’est agi d’analyser « les logiques contradictoires de l’accumulation yougoslave » et donc les différentes réformes combinant « plan, marché et autogestion » entre 1950 et les années 1980 de crise. Mon interprétation de Marx et du marxisme impliquait un rejet de toute notion de « modèle » préétabli ou de « définition » dogmatique par rapport à laquelle on jugerait l’expérience. Mais cette analyse a été effectuée non sans critères méthodologiques marxistes que je résumerai ainsi :

  • l’exigence d’aller « derrière » les institutions (plan, marché, institutions du parti/Etat et de l’autogestion) et derrière les catégories monétaires (prix, salaires, etc.) pour analyser les rapports sociaux réels, en l’occurrence légitimés par des droits reconnus dans la Constitution yougoslave : c’est l’analyse des conflits surgis dans chaque étape, qui structure le passage d’une réforme à une autre, et le plan de l’exposé.  Ce qui permet à la fois de souligner les liens de « légitimation » que le parti/État tire de ses rapports à la révolution et aux travailleurs, et en même temps le « substitutisme » (pour reprendre les termes d’Ernest Mandel ») du parti qui continue à décider « au nom de ». 
  • l’exigence d’actualisation des interprétations théoriques et conceptuelles sur ce type de société que je présenterai en introduction : à la différence d’autres approches se réclamant du marxisme, j’analyse la société yougoslave post-révolutionnaire  sur la base des concepts nouveaux introduits depuis la révolution d’Octobre de « société en transition » (sans interprétation déterministe) soulignant les dimensions conflictuelles de « déjà plus » (capitaliste) et « pas encore » (sans rapport d’exploitation, sans stabilisation « socialiste » communiste). Cette conceptualisation s’inscrit dans la suite des premiers débats marxistes, dans l’URSS préstalinienne des années 1920 (entre Boukharine et Préobrajensky) sur le rôle du marché et du plan, mais il y insère  les exigences démocratiques radicales notamment en termes de droits autogestionnaires des travailleurs / citoyens introduits en Yougoslavie en critique de la bureaucratisation étatiste de l’URSS (cf. Djilas, Kardelj). 

Je terminerai sur une conclusion ouverte soulignant l’intérêt de la notion d’ « utopie concrète » (Walter Benjamin, Darko Suvin…).

Bibliographie :

De l’auteur (cf. articles sur csamary.fr)

Ouvrages récents publiés dans l’ex-Yougoslavie sur le sujet

  • Catherine Samary, Recension de l’ouvrage de Gal Kirn, Partisan Ruptures. Self-Management, Market Reform and the Spectre of Socialist Yugoslavia, in Balkanologie, vol. 16, n° 2, 2021.
  • Catherine Samary, « Une utopie dans les Balkans », recension de l’ouvrage de Darko Suvin, Spendor, Misery and Possibilities – An X-Ray of Socialist Yugoslavia, 2019, parue en anglais in New Left Review, n° 114, 2018.

Sur l’actualité de la planification autogestionnaire écologique

  • Cédric Durand & Razmig Keucheyan, Comment bifurquer les principes de la planification écologique, Paris, La Découverte, 2024.
  • Michaël Löwy, « Vers la révolution Écosocialiste » (volet 1 & 2), Ballast, 2021.
  • Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Ecosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel, 2020.

Enregistrement de la séance :

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Présentation du Langage de la vie réelle. Pour une philosophie critique des pratiques langagières

Juliette Farjat
Lundi 7 octobre 2024 à 18h30

Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.

Lors de la séance du lundi 7 octobre, Juliette Farjat présentera son ouvrage Le langage de la vie réelle. Pour une philosophie critique des pratiques langagières, récemment publié aux Éditions sociales. Voici la présentation de l’ouvrage : 

Alors même que l’ensemble de nos activités sociales (discuter, travailler, étudier, faire de la politique, etc.) se vivent et s’expriment dans le langage, la pensée critique ne s’est que très peu intéressée aux phénomènes linguistiques. C’est ce manque que ce livre s’efforce de combler à partir d’une perspective marxiste. Car, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a chez Marx de nombreuses pistes pour penser les rapports entre le langage et la vie sociale que Juliette Farjat s’efforce de reconstituer pour les confronter avec les analyses empiriques propres aux sciences humaines et aux sciences du langage.

Trois thèses principales sont défendues au fil de l’ouvrage. Juliette Farjat soutient d’abord qu’on ne peut comprendre véritablement la nature des sociétés sans en analyser les pratiques langagières. Elle montre ensuite, à partir de l’exploration des mécanismes de la domination sociale, que toute critique de la société doit passer par une critique de son langage. Et elle affirme enfin que les processus d’émancipation supposent une libération de notre rapport au langage, car l’idée d’une vie meilleure est inséparable de celle d’une vie langagière plus épanouie.

Enregistrement de la séance :

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Cycle de lecture du livre 2 du Capital de Marx – Présentation

L’idée de ce cycle de lecture est née suite à la parution d’une nouvelle traduction française du livre 2 du Capital aux éditions sociales en mars 2024, par Alix Bouffard, Alexandre Feron et Guillaume Fondu, ancien participants et organisateurs du séminaire.

C’est donc à partir de cette traduction que nous commenterons le livre 2. Voir l’ouvrage sur le site de l’éditeur : https://editionssociales.fr/catalogue/le-capital-livre-2/
Un extrait de l’introduction de cette nouvelle édition est paru sur le site Contretemps sous le titre : « Pourquoi il faut lire le livre 2 du Capital ».

Commentaires du Livre 2

Pour accompagner la lecture du livre et aider à la préparation des séances, nous recommandons les ouvrages suivants :

Plan du cycle de lecture

Voici le découpage du livre 2 que nous proposons de suivre pour le cycle de lecture. Chaque séance est accompagnée d’un titre suggéré (chaque intervenant·e est néanmoins libre de proposer le sien !) et d’une courte description du contenu des chapitres associés.

La présentation des séances du cycle est ouverte à tout le monde  : aucune compétence spécifique n’est exigée, seulement l’envie de comprendre Marx et de partager/discuter/affiner son interprétation avec les autres. N’hésitez pas à nous contacter pour vous proposer pour l’une des séances dont le sujet vous attire et/ou pour discuter de leur contenu !

  1. Séance d’introduction générale
    Présentation générale de la nouvelle édition du Livre II du Capital par ses traducteurs.

  2. Ch. 1 à 4 : les trois cycles du capital industriel
    Chapitres philosophiques qui présentent le schéma général du Livre II ainsi que ses concepts fondamentaux (capital-argent, capital productif et capital-marchandise) en reprenant les analyses du début du Livre I du point de vue de la circulation.

  3. Ch. 5 et 6 : temps et coûts de circulation
    Les chapitres portent sur la temporalité des cycles du capital ainsi que sur un large éventail de questions plus générales, comme la distinction entre travail productif et improductif, l’industrie des transports, la comptabilité socialiste ou le caractère transhistorique du surproduit social.

  4. Ch. 7 à 11 : la rotation du capital productif : capital fixe et capital circulant
    Chapitres conceptuellement importants qui introduisent le concept de rotation et définissent les concepts de capital fixe et de capital circulant par opposition à ceux de capital constant et capital variable ou de force de travail et de moyens de production. La partie inclut des chapitres d’histoire de la pensée économique qui approfondissent la problématique en la liant au problème du fétichisme.

  5. Ch. 12 à 14 : temps de rotation et temporalités naturelles
    Marx s’intéresse dans ces chapitres au rapport entre la rotation du capital et d’autres formes de temporalité extérieures au capital, comme les temporalités naturelles liées à la nature de la production agricole, à la géographie ou à l’urbanisme.

  6. Ch. 15 à 17 : temps de rotation et valorisation du capital
    Dans cette partie plus technique, Marx étudie de manière plus spécifique les rapports entre la rotation du capital et la production de la survaleur, avec des références à des questions annexes comme la planification socialiste, la suraccumulation financière ou la nature des crises capitalistes.

  7. Ch. 18 à 20 : reproduction simple du capital social global
    Section composée essentiellement des analyses des schémas de la reproduction simple du capital social global, accompagnées de chapitres de critique de la pensée économique qui contextualisent la position de Marx, notamment par rapport à Adam Smith.

  8. Ch. 21 : l’accumulation et la reproduction élargie
    Dans cette dernière partie Marx introduit les schémas de la reproduction élargie très débattus par la tradition économique marxiste et qui sont inséparables des déséquilibres introduits par la reproduction du capital fixe.

 

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Cycle de lecture sur les sociétés précapitalistes (9) – K. Marx, Ecrits sur l’Algérie

La colonisation officielle en Algérie. 1/1.500.000, dressé par le Service cartographique du Gouvernement général de l’Algérie, 1919

Thomas Irace
Lundi 10 juin 2024 à 18h30

Salle Favard, 46 rue d’Ulm

Les écrits de Marx sur l’Algérie sont disparates et peu nombreux : à l’article « Bugeaud » rédigé en 1857 pour la New American Cyclopaedia s’ajoutent des notes de 1879 sur l’ouvrage Le Système foncier communautaire du sociologue russe Maxime Kovalevski, et la série de lettres qu’un Marx malade et affaibli envoie à sa famille depuis Alger où il séjourne quelques semaines en 1882.

L’essentiel de l’exposé portera sur les notes de 1879, reproduites dans le recueil de Maurice Godelier (2022[1970]) et dans celui de René Gallissot (1976). Marx résume et retranscrit le texte de Kovalevski, dont il partage les problématiques : de quelle histoire sociale et politique témoignent les structures foncières de l’Algérie ? Comment et pourquoi le colonialisme français s’est-il attaqué à ce qui restait de formes de propriété collective ? Les remarques personnelles que Marx insère sont peu nombreuses, mais l’ensemble a fait l’objet d’un riche travail interprétatif et critique par R. Gallissot – travail sur lequel l’exposé s’appuiera largement.

Ces notes donnent à voir la portée et les limites du progrès de Marx dans la compréhension du phénomène colonial et dans son intégration à la critique de l’économie politique. Elles illustrent également certaines préoccupations caractéristiques du « Marx tardif » : d’abord l’étude des persistances et désagrégations de la supposée « communauté primitive » fondée sur la parenté, ensuite et plus largement le rejet de la téléologie, de l’eurocentrisme et du développement autonome des forces productives, auxquels Marx envisage de substituer un évolutionnisme « multilinéaire » et nourri de connaissances sur l’histoire extra-occidentale… mais l’érudition de son temps lui donne-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Bibliographie :

  • Karl Marx et Friedrich Engels, Sur les sociétés précapitalistes (Textes et présentation par Maurice Godelier, Nouvelle édition augmentée), Paris, Les éditions sociales, 2022 [1ère édition 1970].
  • René Gallissot (avec la collaboration de Gilbert Badia), Marx, Marxisme et Algérie, Paris, Union générale d’éditions (10/18), 1976.

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Planification centralisée et fin de la valeur

Cénotaphe de Newton (1784), Etienne-Louis Boullée

Simon Verdun
Lundi 3 juin 2024 à 18h30

Salle des Actes, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB

 Nous partirons de l’idée répandue, quoique fausse selon nous, qui voudrait que Marx n’ait jamais donné de description claire de ce que sera le communisme. Nous défendrons en réalité la position exactement inverse : loin de s’être limité à décrire les mécanismes essentiels du capitalisme ainsi que ses catégories, Marx n’a pas fait autre chose que de décrire, au sein même de son œuvre économique, la forme invariante que devra nécessairement prendre le communisme comme mode de production non-marchand constitué en négation de la société marchande développée. 

Il s’agira pour nous de revenir sur un certain nombre de descriptions faites dans les livres I, II et III du Capital du système de la production et de la distribution communiste, tant dans sa phase inférieure que supérieure, en les mettant en relation avec les descriptions que Marx donne dans le livre I d’autres formes de production non-marchandes (famille antique patriarcale, société féodale, unités productives fermées dans une moindre mesure), où les produits du travail ne prennent pas la forme de valeurs et au sein desquelles la logique de l’accumulation tautologique de valeur ne s’est pas encore emparée de l’ensemble de l’organisation sociale.

Loin de constituer un retour à la pensée utopique, cette projection de Marx du communisme comme organisation sociale où le travail social est réparti à l’avance selon un plan central unique apparaît comme la conséquence directe de l’analyse des catégories de la production capitaliste, dans laquelle les produits de travail des producteurs séparés revêtent universellement la forme de marchandises, dans laquelle le travail humain social se présente sous la forme de travail abstrait et où la mesure du temps de travail s’effectue nécessairement sous cette « forme démente » (Le Capital, I) qu’est la grandeur de valeur, c’est-à-dire sous forme de prix.

Qui connaît ce qu’est le capital connaît nécessairement ce que devra être le communisme ; qui connaît les conditions sociales dans lesquelles la valeur d’échange fait son apparition pour s’ériger en fétiche et en maître de l’organisation sociale connaît nécessairement les conditions dans lesquelles les rapports de production pourront enfin être soumis « à la puissance des individus unis » (L’Idéologie allemande). Il ne s’agit rien de moins que de la description faite par Marx, sous une forme épurée et essentielle, des conditions de la fermeture définitive de la parenthèse historique qu’est la société marchande : les conditions de la destruction des rapports et des catégories mercantiles, de l’échange, de la forme-valeur, de l’argent, de l’État et des classes. 

Bibliographie :

  • Bruno Astarian, L’abolition de la valeur, Genève/Paris, Entremonde, 2017.
  • Amadeo Bordiga, « Le marxisme des bègues », in Russie et révolution dans la théorie marxiste, Paris, Spartacus, 1975.
  • Amadeo Bordiga, Dialogue avec Staline, 1952.
  • Gilles Dauvé, De la crise à la communisation, Genève/Paris, Entremonde, 2017.
  • Friedrich Engels, « Socialisme, IV. La répartition », in Anti-Dühring, 1878.
  • Tran Hai Hac, Relire Le Capital : Marx critique de l’économie politique et objet de la critique de l’économie politique, Lausanne, Ed. Page deux, 2003.
  • A. Hennaut, « Les fondements de la production et de la distribution communiste », Bilan, n° 19, Mai-Juin 1935.
  • Karl Marx, Le Capital, Livres I, II et III.
  • Karl Marx, Critique du programme de Gotha, 1875.
  • Isaak Roubine, Essais sur la théorie de la valeur de Marx, 1928.

Enregistrement de la séance :

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