Nicolas Boutin
Lundi 26 mai 2025 à 18h30
Salle des résistants, 45 rue d’Ulm, 1er étage, couloir AB.
Est-il possible de se mettre d’accord sur la spécificité propre, aujourd’hui, du monde ouvrier ? Comment pourrait-on qualifier, à nouveaux frais, le « prolétariat » afin que ce concept soit apte à saisir la réalité de notre moment historique ? L’objectif de cette présentation est de battre en brèche l’idée selon laquelle nous serions sortis du monde de l’usine, proposant ainsi quelques pistes afin d’établir un état des lieux de la situation ouvrière contemporaine. Dans les suites du vaste mouvement de délocalisation des grandes entreprises vers les pays pauvres, le travail ouvrier n’a en réalité pas disparu des pays riches de l’Occident ; la réorganisation « post-industrielle » du travail a reconfiguré la chaine de production mondiale en deux pôles essentiels : d’un côté, le travail ouvrier de la production, dans les plus grandes usines et les plus grandes mines ayant jamais existé et, de l’autre, le travail ouvrier non délocalisable, assumé pour l’essentiel par des travailleurs et des travailleuses sans papiers et en conséquence sans droits. Tenter de penser le lien entre ceux deux pôles sera l’un des enjeux de la présentation, notamment autour de la question du développement sans précédent de la sous-traitance.
Cet état des lieux prendra deux directions : une analyse « objective » de la situation ouvrière, s’appuyant spécifiquement sur une expérience politique précise, celle de l’École des Actes, une micro-institution militante situé à Aubervilliers, dont le travail d’enquête a permis d’établir que le travail sans papier est au cœur de la réorganisation contemporaine du travail et qu’il forme aujourd’hui le réel du travail ouvrier des pays riches ; une analyse « subjective », se mettant à l’école de la parole et de la pensée d’ouvrières et d’ouvriers, condition pour que le travail ouvrier soit pensé en intériorité, établissant ainsi un garde-fou face aux risques de désubjectivation de l’analyse objective. Une telle entrée dans le travail ouvrier par la subjectivité prendra appui sur les films des cinéastes contemporains Sol Suffern-Quirno et Rudolf di Stefano, notamment Sortie d’usine (2022) et L’Ouvrier et la Machine (2024).
À partir de là, le souhait est que soit mise en discussion une hypothèse : ce qui pourrait caractériser le prolétariat aujourd’hui, selon toutes ses variantes mondiales, est qu’il est une figure toujours déplacée ou en déplacement et que le capitalisme mondial repose sur la production d’une telle main d’œuvre. Alors qu’il n’était qu’une forme transitoire du travail marchand pour Marx, semble se dessiner et s’établir un « prolétariat sans feu ni lieu », hors du droit, corvéable à merci, qui ne se fixe jamais nul part.